Le ciel est beau, comme l'autre nuit. Les étoiles brillent mais il n'en voit pas aussi colorées que celles de la nuit dernière. Il n'a pas prévu de peindre pour une fois. Il est simplement venu regarder les étoiles, penser qu'il est encore sur cette falaise, prêt à mourir à chaque instant à cause d'un mouvement traître. Des barrières sont bien disposées sur cette terrasse pour éviter que les gens ne tombent malencontreusement et lui est assis dessus. Il ne sait pas trop ce qui pourrait l'attendre s'il tombe. Il se souvient simplement de cette belle mer d'encre et sourit.

Il ferme les yeux quelques instants pour mieux sentir ce vent qui secoue ses cheveux courts. À Slumberland, le vent n'est pas frais. À Slumberland, le vent est doux et gentil, un peu comme l'autre soir. Il pourrait tomber, se noyer dans l'obscurité pour réapparaître en parfaite santé. S'il était mort l'autre nuit, il n'aurait pas pu se réveiller en parfaite santé, il en est convaincu.

Le silence est doux ; il laisse flotter librement les pensées du peintre. Son bras se lève mécaniquement, voulant atteindre le ciel et ces lueurs qui résistent dans la marée sombre. Des pas résonnent dans l'air nocturne. Tous les sons sont amplifiés la nuit, les pas semblent envahir l'air. Il ne se retourne pas. Les pas se rapprochent, venant troubler sa paix. La solitude lui plaît et quelqu'un vient la détruire. Les pas atteignent la terrasse. Il se retourne, repose les pieds sur la terrasse. Il n'est pas tombé finalement.

Une fille qu'il a déjà vue pollue son champ de vision. Il ne voulait pas être dérangé ce soir-là et voilà une présence qui semble venir pour cela.


Sa voix n'est pas douce, sa voix n'est pas tendre, elle est juste ferme et peut être un peu agressive. Ses yeux ne sont pas compatissants, ses yeux ne sont pas gais, ils sont juste un peu menaçants et peut être un peu tueurs.


Il se retourne, observe le royaume. Il veut la repousser. Il aimerait peut être la lancer du haut de cette terrasse, que son corps disparaisse et que sa solitude soit restaurée mais il ne veut pas tacher de sang une nuit si rare à Slumberland.


Il se souvient ; il l'a déjà vue passer dans les couloirs alors qu'il peignait un oiseau rouge. Il l'a déjà vue dans la cour alors qu'il dessinait les dents des coquelicots. Il ne l'a jamais réellement vue en compagnie de quelqu'un d'autre. Elle lui ressemble certainement un peu.

Est-elle idiote ? Il est évident qu'elle l'a dérangé. Seule une idiote poserait une telle question dans une telle situation.


Elle est souriante, elle semble hautaine, elle le dégoûte réellement.


Il sourit aux premiers mots. Slumberland n'est pas dangereux pour lui. C'est plutôt lui qui est dangereux pour Slumberland. Cette fille semble vouloir se donner des couleurs avec son air hautain. Il se demande si elle est réellement colorée mais il n'aime pas qu'on le traite ainsi, ça lui rappelle ces enfants qu'il a haïs. Elle n'a pas l'intention de partir. Il pourrait envisager cette possibilité, rencontrer le calme et la solitude ailleurs. Ou bien il pourrait simplement récupérer le couteau qu'il a emmené dans un sac et éliminer tranquillement la présence nuisible.

Il observe l'outil dissimulé dans le tissu gris foncé. Il se baisse, récupère le couteau laissé à terre dans le sac. La lame est belle. Elle traverserait facilement la chair de cette fille. Un sourire s'affiche sur les lèvres de Paint. Ce serait amusant de la découper en morceaux et d'utiliser son sang pour immortaliser cette nuit sur une toile. Cela lui plairait certainement. Le métal passe doucement sur l'index droit du peintre. Un peu de sang glisse sur sa peau pâle. Il attrape le bras de la jeune fille fermement pour éviter qu'elle ne bouge et applique la couleur rouge d'un trait sur sa joue gauche.


Il ne sourit pas. Son air est détaché. Il la lâche et s'assied dos à la rambarde et regarde son doigt ensanglanté. Il tient le couteau de sa main gauche même s'il a dû le poser pour attraper le bras de la jeune fille.


Il essuie la couleur sur la lame.


Il a l'air un peu pensif, comme si l'univers de violet s'étendait sous ses yeux vides. Il ne tient pas fermement l'arme, elle pourrait tomber, on pourrait lui prendre. Il ne regarde même pas la fille. Il regarde juste ce violet sous ses yeux avec cette lune qui n'existe pas dans ce monde-ci mais dont il a pourtant des souvenirs très précis.

Blanc. Le mot s'envole paisiblement dans l'air nocturne et frappe violemment dans sa tête. Les images reviennent. Le blanc est partout et dévore tout. Les étoiles perdent leurs couleurs, la nuit devient terne. Une sorte de haine bouillonne au fond de lui. Les pensées s'affolent, les angoisses apparaissent. Le cadavre s'éveille peu à peu, il l'entend. Il n'y a pas encore de sang sur le sol. Cela ne saurait tarder, il le sent.

Les mots se déchaînent dans sa tête, les éclats de couleur se déposent partout. Horrible, monstrueux, une voix crie. Il connaît bien cette voix féminine mais a peur de l'entendre à nouveau. Il se recroqueville un peu sur lui-même, laissant l'arme sous son pied pour éviter qu'elle ne la prenne pour lui faire du mal. Il se méfie. Seules les créatures maléfiques peuvent aimer le blanc. Il a du mal à essayer de former des phrases avec tous les termes qui s'affichent devant ses yeux.


Il répète le mot, regardant l'infini. Il tremble un peu face à l'horreur qu'il a eu du mal à prononcer. Il entend les cris, les pleurs, les gémissements.


Il le redit, avec dégoût, une main sur sa bouche comme si ce simple amoncellement de sons étranglait sa voix et lui donnait envie de vomir. Il déglutit avec difficulté. Il semble avoir vu une scène terrible mais même lui ne le sait pas. Les cauchemars remontent à la surface. Les plaines et les arbres deviennent rouges, le cadavre ricane dans sa mare de sang.


Il a peur et oublie de le cacher. Il lève les yeux vers elle. Elle sourit peut être mais lui ne voit que le masque du diable. Il faudrait l'éliminer, elle est dangereuse pour le royaume, elle va renverser le roi, elle va tout détruire. Tout se bouscule, tout se renverse tandis que le vent doux caresse les mains crispées du peintre.


Sa voix se fait de plus en plus intense, de plus en plus dangereuse. Il ne tremble plus, il n'est peut être plus lui-même. Brusquement, il se lève sans trop savoir s'il est encore humain. Il a oublié l'arme posée sur le sol et attrape violemment le bras de la jeune fille. Son visage est rude, ses traits sont crispés. Ses yeux reflètent l'angoisse, la crainte et cette sauvagerie que l'on peut constater quand on regarde certains êtres humains éliminer leurs congénères.


La violence s'atténue, il la lâche même s'il a dû presser si fort son bras que la circulation sanguine a dû cesser pendant quelques instants. Il a certainement laissé une marque sur la peau de la jeune fille mais ce n'est rien comparé à ce qu'il pourrait lui faire avec ce couteau qui attend patiemment sur le sol.

La rage subsiste tout de même au fond de lui, il frappe la rambarde. On pourrait croire que son bras s'est cassé vu la violence du choc mais il semble intact. Ses yeux tombent sur la jeune fille, voyant le rouge sur sa peau qui n'existe pas encore. Le cadavre est joyeux et rit sans cesse.


C'est impossible. Du sang ne devrait pas paraître à Slumberland, c'est impossible. Mais en fait, ce n'est pas son sang ou du moins pas du sang frais lui appartenant. Le couteau avait encore un peu de sang sur sa lame. Il agite un petit flacon rempli de rouge qui ne laisse pas douter quant à son contenu.

Run

Cette fille est déplaisante. Elle utilise des mots et des expressions sans comprendre leur sens. Ce doit être une de ces stupides slumbers qui ne savent jamais rien sur rien. Elle est décolorée, cela se voit. Rien que le fait qu'elle aime le blanc et est effrayée par le noir le montre. Ce ne sont pas des couleurs, elle préfère les placebos aux véritables sensations. Sa peine est fausse, sa tristesse est mensongère. Son existence est empreinte de fausses vérités. Ce doit être une anomalie dans le bon fonctionnement des choses, une tache dans la belle toile colorée de cette nuit. Elle devait peut être simplement ne pas avoir de vie et s'est retrouvée accidentellement ainsi. Ce doit être pour cela que sa vie ne mérite pas d'être vécue, elle n'aurait même pas dû l'avoir.

Il pose ses yeux emplis de haine sur elle. Son image le répugne trop, il ferme les yeux pour retrouver ce violet et cette lune qui n'existent plus. Il repense à cette chambre qui était sombre parce que la lumière n'était plus supportable. Il se souvient de sa solitude, de ce qu'il pouvait bien penser seul dans sa cellule. Lui aussi l'avait peut être pensé mais lui ne pouvait rien faire, rien. Toute échappatoire avait disparu, son destin était déjà fixé depuis bien longtemps.


Il serre ses poings pour éviter d'attraper le couteau afin d'en finir avec cette entité horripilante. Il se recroqueville sur lui-même non pas à cause du froid mais pour éviter de faire le mouvement en trop. Il la hait, il la déteste, il rêverait peut être de la crever mais ne voudrait pas réellement le faire. Il faudrait l'empêcher des fois de sortir de sa suite alors qu'il est instable. Mais malheureusement pour lui, il est toujours instable. Le seul moyen de préserver sa misérable existence est de lui dire de fuir, peut être de lui faire peur. Lui refuse de bouger, ce n'est pas à lui de partir face à une petite peste telle qu'elle. Ce doit être cet orgueil d'artiste qui le poussait jadis à croire que ses peintures vallaient tellement mieux que les bagarres d'enfants.


Il serre les dents, certainement un peu trop fort. Il accumule cette haine, ce malaise qui va exploser bientôt, ça va exploser. Le couteau est encore là sur le sol, il n'attend qu'une main pâle pour le prendre et l'enfoncer dans la chair mais non, il ne faut pas. Il ne faut pas écouter les rires sombres du cadavre, il vaut mieux rester aveugle face à la mare de sang qui se répand, il faut rester dans le monde imaginaire. Son cœur bat trop fort ou bien plus du tout. Il ressent cette pression dans sa poitrine mais depuis le temps, son cœur a dû pourrir.

Il relève sa tête, posant à nouveau les yeux sur elle. Il ne se sent plus confiant, il ne se sent plus haineux. Il se sent angoissé, nerveux. Son regard n'est plus assuré, ses gestes sont devenus tremblants. Il a du mal à avaler sa salive remplie de toute cette rancœur. Les mots ressurgissent, il les avait presque oubliés.


Il aimerait hurler sa peine mais n'en trouve plus vraiment la force. Sa gorge ne laisse échapper que des sortes de gémissements qui pâlissent face à la violence et la haine de la mare de sang. Pourtant, sa voix crie bien dans sa tête. Il aimerait attacher ses poignets ensemble, qu'ils ne se précipitent pas sur la lame. Il le sent que ça va bientôt se passer, il le sait. Cette force familière et meurtrière l'envahit. Il a beau lui crier après, elle ne fait que rire d'une manière sinistre.


Il ne pleure pas, non même si sa voix et ses tremblements pourraient faire penser le contraire.

L'assassin se rapproche de sa victime. La meurtrière ricane, son rire fait écho à celui du cadavre qui se rapproche. La pauvre victime tremble, prise au piège. Il aimerait reculer, disparaître, tomber, fuir mais il est trop tard. Il n'a pas vu le mal s'approcher, il n'a pas vu la perfidie de la jeune fille et maintenant il est trop tard ; le mal est trop proche pour pouvoir s'échapper. Ce n'est pas normal, ce sont les nightmares qui sont dangereux, les slumbers sont juste décolorés et inoffensifs. Il a peur, il tremble. Il aimerait la repousser violemment mais n'en trouve ni la force ni l'audace. Elle se rapproche pour mieux le tenter.

L'arme est à portée de main, il pourrait la saisir et la tuer simplement. Il n'y aurait pas de sang, elle ne crierait certainement pas. Il suffirait d'un instant, d'un geste et elle serait satisfaite, elle cesserait de le torturer. Non, il ne doit pas y penser. Il la repousse violemment avec ses bras, la jetant presque contre le mur pour pouvoir se recroqueviller sur lui-même. Mais il sait bien que quand la violence commence, elle ne peut plus s'arrêter. Il le sent bien que ce n'est pas assez, que ses mains veulent agripper le couteau. Il se mord la lèvre, il agrippe son vêtement pour éviter des débordements.


Il doit s'échapper, il doit fuir mais elle le retiendrait, il en est certain. Lui-même se retiendrait de fuir. Il faudrait se débarasser de l'arme, ne plus avoir la tentation mais il aime réellement ce couteau, il ne voudrait pas le lancer dans le vide froidement. Il crie, espérant effrayer. Il crie des mots destinés à repousser. Il crie des ordres, il demande qu'elle parte, il hurle qu'il refuse, il se perd un peu plus à chaque cri. Le mal s'empare peu à peu se lui, il s'éloigne, se cogne à un autre coin de la rambarde. Le couteau est loin, il ne se jettera pas dessus, tout ira bien. Ses jambes ne le porteraient pas dans un autre lieu, les tremblements sont trop intenses.


Il ne sait pas si elle entend, il ne sait pas où elle est, il s'est trop recroquevillé. Il va bientôt perdre le contrôle, il le sait. Il la hait trop pour la laisser en vie bien longtemps même s'il le souhaiterait.

Tout devient rouge. Le sang est absent mais lui le voit bien. Le cadavre ricane, son rire fait écho à celui de la fille ou bien celui de la fille fait écho au rire du cadavre. Cela n'a pas d'improtance ; les deux semblent indissociables, identiques. Le même crissement, la même voyelle, la même note la même voix, le doute n'est pas possible. Le bruit lui déchire les oreilles, le bruit détruit sa réalité. La fille cadavérique s'approche. Ses lèvres sont les mêmes, ses yeux rieurs sont les mêmes, ses cheveux ont la même senteur, son visage reflète la même identité. Mais c'est impossible. Un mort ne bouge pas. Un mort reste immobile dans sa mare de sang. Un mort reste pendu au bout de sa corde. Un mort reste noyé au fond de son lac. Les morts ne peignent pas le monde en rouge. Les morts ne viennent pas demander la mort aux vivants. Cette situation est impossible, c'est une anomalie. Il faut détruire cette anomalie.

Détruire. L'arme est à portée de main, la victime se rapproche. La lame apparaît dans sa main, il a dû l'attraper sans s'en rendre compte. La chair appelle la lame. La lame appelle le sang. Une petite hésitation subsiste tandis que son poing est déjà fermé sur l'outil. Le coup ne part pas, il est paralysé. Veut-il vraiment tuer ?

Il est perdu, il ne sait pas quoi faire. Il ressent bien cette haine au fond de lui, cette colère qui ressurgit. Ces sentiments l'envahissent, appelant la vengeance et la mort. La peur s'évanouit alors peu à peu. Le rouge dévore tout. L'humanité disparaît lorsqu'elle est colorée de rouge. Il ne tremble plus, il ne sourit pas. Le monde est flou, le monde est rouge et c'est elle qui le teinte ainsi. S'il l'élimine, le monde redeviendra normal. Ses rêves reprendront leurs couleurs. Le bleu et le violet reviendront.

Tuer. Le cadavre réclame la mort, le diable l'appelle. Il n'en est que l'instrument, fait que ce qu'on lui souffle au plus profond de son âme tachée d'encre rouge et noir.

Tuer, il le faut. Il faut suivre les désirs du cadavre. S'il la tue, tout ira mieux. S'il la tue, le rire cessera. Le cadavre sera heureux, tout sera fini.

Oui. Il faut tuer. Oui. Il doit tuer. Il le veut, il le sent. Il n'attend que cela ; tuer. Les gestes seront précis, nets. Personne n'est là pour le voir, il sera impuni. Qu'est-ce qui l'en empêche ? Rien. Il va simplement la tuer.

Le couteau traverse la chair. Crie-t-elle ? Il n'entend plus. La plaie s'ouvre, plus profonde que la dernière fois. Quand était-ce ? Certainement dans l'un de ses cauchemars récents. Le meurtrier sourit. Il détruit la peau, il veut voir le sang mais il n'y en aura pas. Il l'a oublié. Les vêtements finissent en lambeaux, la peau n'est plus que tissu fragile face à la lame. Le sang tant espéré n'apparaît pas mais lui le voit, il en est heureux. Le rouge imaginaire restaure les couleurs, son rêve redevient bleu. Il rejette le corps loin de lui. Le cadavre est mort. Le rouge a disparu. Il rit, heureux. Le rouge n'est pas invincible finalement, il suffit de tuer. Ce n'est rien d'insurmontable.

Il range la lame, regarde la fille. Il se calme, le rouge a disparu. Que s'est-il passé ? Qu'a-t-il fait ? Elle est morte, cela ne fait aucun doute. Elle l'avait poussé à le faire, ce n'est pas de sa faute. Il l'avait bien prévenue, pourquoi n'a-t-elle pas écouté ? Le couteau est vierge de sang mais pourtant ses mains lui semblent plus ensanglantées que jamais. Il tremble à nouveau, tente de reprendre ses esprits. Elle ira bien, elle se réveillera saine et sauve. Elle n'est pas morte, elle va vivre. Non, c'est bien fait pour elle. Elle voulait mourir, pourquoi pleurer sa perte ? Mais cela fait de lui un meurtrier, il est horrible. Non, c'est elle l'être horrible, ce n'est pas lui.

Il laisse le corps là. Il doit fuir, vite. Il doit se fuir pour se protéger de lui-même. Ses jambes le portent difficilement à l'intérieur de la bâtisse. Il quitte la scène de crime.