ferme des Teissier, juillet 2017

we gotta live it up til it's gone

▬ Marc ?

Amande sourit, avec cette douceur qui la caractérise. Elle reste un peu en retrait, derrière la porte entrouverte, et elle regarde le jeune homme, attendant simplement son approbation pour entrer dans la pièce. Elle le voit hocher la tête avec bonheur, et glisse dans l’entrebâillement, avant de refermer doucement la porte derrière elle. Ses joues virent un peu au rose quand elle réalise à nouveau qu'elle s'est glissée dans cette robe qui met un peu en valeur son corps fin d'adolescente. Silencieuse, elle fait un tour sur elle-même, sous les yeux de Marc. La robe dévoile sur sa clavicule le tatouage qu'elle s'est fait faire l'été dernier. Elle sourit en se rappelant de la grimace de son demi-frère, comme s'il considérait cela comme un ultime affront. Il avait été forcé de s'y faire, parce que la jeune femme l'adorait. Elle avait coutume de dire qu'il lui rappelait les rêves dont elle ne devait pas se défaire. Et elle rappelait à cela qu'elle les tirait de ses livres, perchés parmi les étoiles. Elle glissa une main dans ses cheveux un peu emmêlés pour les relâcher sur ses épaules. Machinalement, elle redresse un livre dans la vieille étagère, souffle sur la poussière qui s'insinue entre les pages. Elle se dit que cette pièce est adorable : l'ancienne bibliothèque de ses grands-parents dans leur jeunesse, aujourd'hui transformée en chambre d'amis. Amande sourit doucement, songeant que les Teissier lui ont gracieusement prêté cette aile de la ferme pour y passer quelques semaines de vacances en l'agréable compagnie de Marc. Alors, elle se tourne vers lui, et lui sourit.

▬ Désolée, pour la robe. Elle est peut-être pas très ... Enfin, j'ai rien dit, pardon.

Elle se souvient lui avoir un jour demandé s'il voulait bien venir avec elle, dormir à la belle étoile dans les champs de ses grands-parents. Elle se souvient également lui avoir promis qu'ils s'y rendraient l'été même, mais ils avaient finalement dû retarder. Alors, Amande est heureuse d'être là avec lui, cette année. Enfin. Elle l'avait tant attendu, ce doux bonheur. Elle se rappelle encore de l'amertume de ses larmes de cette nuit-là, et des promesses murmurées dans l'air. Promesses qu'elle a tenues, scellées par des baisers d'enfants timides. Ils étaient encore tout deux un peu gamins dans leur coeur, avec leurs rêves bordés d'étoiles. Seulement, ils ont un peu grandis. Amande s'en souvient, de ces mots blessants qu'elle murmurait en prise à ses cauchemars ; c'est comme ça qu'elle a pris l'habitude d'être avec Marc. C'est comme ça qu'ils ont fini par avoir, eux aussi, des joues rougies, des mots d'amour timides, des lèvres qui se rencontrent, et quelques caresses tendres. Les flammes en brûlent encore dans son coeur. Alors elle sourit à Marc, et puis l'entoure un peu de ses bras pour se presser doucement contre lui. Etreinte fugace qu'elle défait rapidement pour planter ses yeux dans les siens. Ses lèvres s'entrouvrent alors que les mots à poser sur son idée restent encore bloqués un instant dans sa gorge. Ça fait si longtemps qu'elle en rêve.

▬ Et si on se faisait enfin cette nuit-là à la belle étoile ? J'ai envie d'un bon feu de camp. Tu sais, avec des marshmallows et des histoires de fantômes.

Elle en connaît pas mal, des histoires d'horreur, Amande. Il y a celles dans les livres, et celles qu'elle a vu à l'écran, glissée dans les bras de sa mère. Elle virevolte sur elle-même, tout doucement, en demi-pointe dans ses ballerines ; on peut deviner dans ses tours sur elle-même la grâce de la danse classique apprise dans son enfance. Elle est comme ça, la charmante Mélissandre : elle tient à ce que sa fille ait la classe des bonnes familles, pour qu'elle soit à l'aise quoiqu'elle fasse. Elle ne s'est pas trompée, d'ailleurs, parce qu'Amande est à l'aise avec Marc. Il est gentil, Marc, et il est charmant avec toutes ses croyances d'enfant. Amande a appris à s'attacher, elle aussi, aux amulettes et aux histoires de destins. L'an prochain, elle aura quitté l'école, et elle pourra rejoindre son cher et tendre, où qu'il aille. Elle sourit, et, lentement, tourne le dos à Marc. Avec des gestes calmes, elle rassemble ses cheveux sur son épaule droite. Encore plus doucement, elle fait glisser la manche gauche de sa robe sur son bras. Ainsi, elle dévoile son tatouage, que le jeune homme n'a encore jamais vu. Apparaît un oiseau bleu qui déploie ses ailes pour prendre son envol.

▬ C'est le symbole des rêves. Pardon : pour moi, c'est un symbole de rêve. Je suis désolée de ne jamais te l'avoir montré avant, c'est juste que. C'est un peu. Enfin, non, rien, pardon. Voilà, il est là.

Alors Amande rougit violemment en sentant la manche fine de sa robe blanche qui s'échappe encore un peu plus sur son bras. D'un geste un peu brusque, elle la remonte, et puis se tourne vers Marc avec les mains plaquées sur son visage, le temps que la rougeur disparaisse. Quelques voix font écho dans sa tête. Il y a celle de Nikola, par exemple, qui marmonnait toujours des conseils, celle de son demi-frère, aussi, qui râlait tant contre Marc. Ils ont tous deux quitté les rangs d'Aisling, maintenant. Presque tout le monde sera parti quand Amande retrouvera les bâtiments à la rentrée. Elle entrera en dernière année, après tout. Son sourire se fait encore plus grand, avec cet air taquin qu'elle a tant retrouvé dans les traits de sa grand-mère quand elle est restée près d'elle la nuit dernière. Elle le tend à Marc, ce sourire-là, tandis que ses doigts glissent, fugaces, sur la joue du jeune homme, pour se poser sur ses lèvres closes. Elle se hisse sur la pointe des pieds, essayant de compenser la différence de taille. Elle y arrive à peine, parce qu'elle est restée petite, Amande, alors qu'il a grandi, lui. Des étoiles rieuses brillent tout de même dans ses yeux.

▬ Tu sais ce qu'elle m'a demandé, ma grand-mère, hier ? Attends, je te la cite, pour que tu situes totalement : « Avec Marc, vous n'avez pas besoin d'héritier tout de suite, alors protégez-vous, d'accord ? » ... Avec un air très sérieux. C'est bizarre, tu ne trouves pas ?

Elle pouffe, tout doucement, et relâche la pression de ses doigts sur la bouche de Marc.

▬ Si ma grand-mère est au courant, ça veut dire que c'est officiel, maintenant. Ça te plaît ?

cuz we won't be around too long